L'obscurité était totale. Froide. Sombre. Solitaire. Un tourbillon de néant. Une nuit sans étoile, un ciel sans vent, un été sans chaleur. Rien n'existait plus. Seule la peur l'envelopper. Le silence et l'obscurité. La peur. Il y avait, cette berceuse étouffée. Si lointaine, perdue comme un murmure surréaliste, un rêve. Puis la mélodie se précisa, lentement, le son s'éleva devenant de plus en plus réelle. Lentement, il reprit conscience.
Son unique oeil robotique clignota un instant avant de se stabiliser. Sa voix faible témoignait d'un long sommeil. Il aperçut des silhouettes dans l'obscurité. D'autres Daleks, comme lui, complètement éteint. Une épaisse poussière flottait dans la pièce que son oeil bleu perçait à peine. La musique résonnait encore dans sa tête.
- Quel est ce bruuuuit ? insista-t-il avec colère.- C'est Carmen, espèce d'ignare…
Il se tut, surpris d'avoir entendu autre chose qu'un Dalek, et un peu inquiet à dire vrai. Il tenta de réfléchir à la situation mais sa mémoire et ses souvenirs lui firent défauts.
- Car-men ? Qu'est-ce que Carmen ?- C'est une musique de chez moi, rétorqua la voix féminine.- De chez toi ?- Oui de chez moi.
La question balayée, la musique reprit ses droits. Le brouillard était encore bien épais dans l'esprit du Dalek qui n'avait pas la moindre idée d'où il se trouvait.
- Tu n'es pas Dalek, reprit-il.- Non, je suis humaine.- Humaine ? Humaine ? Humaine ? Que fais-tu dans mon esprit ? C'est impossible ? Exterminer ! Exterminer !
Comme pris d'une pulsion nouvelle, le Dalek s'anima, s'avançant dans la poussière en tournant, cherchant l'humaine parmi les silhouettes, tournant sur lui-même, butant contre les autres Daleks endormis. Les rires de l'humaine se mêlèrent bientôt à la musique, et le Dalek paniqua un peu plus jusqu'à taper un mur et recevoir une pluie de métal sur le dos. Le choc l'assomma à moitié, le Dalek se désactiva de nouveau.
Un bip lointain amorça son réveil. L'oeil du Dalek clignota, indistinct, instable. Ses pensées ne parvenaient pas à s'aligner correctement. Sa voix résonna alors d'elle même.
Sa voix se perdit dans le silence. Puis le Dalek reprit, faiblement, scandant la même phrase, la répétant avec détresse, coincé dans son armure, sous les ruines de métal.
La voix humaine de nouveau. Le Dalek conserva le silence comme tétanisé à l'idée que cette voix puisse être réelle. Après quelques instants il reprit, cherchant à mettre dans le ton, toute la force et la fureur Dalek. Mais seule la faiblesse transparaissait dans sa voix :
- Les Daleks n'ont pas peur !- Mais toi tu as peur ?
Le Dalek hésita. Avoir peur était incompatible avec l'essence de sa race. Et pourtant son esprit affaibli percevait bien de la peur. Seul dans le noir, les idées embrouillées, ses pensées demeuraient floues. Il céda finalement.
Dalek l'avait compris. Il était une erreur. Dysfonctionnel. Mais aujourd'hui, il n'était plus seul. Il avait une voix, avec qui discuter et surtout se disputer.
***
- Tu as déjà voyagé dans les étoiles ?
Dalek tournait en rond dans la pièce, zigzagant entre ses compères endormis. Discuter avec l'humaine était devenue sa seule occupation et elle savait s'y prendre pour lui retourner l'esprit et le faire douter sur tout. En entendant la question de l'humaine, Dalek se stoppa et leva instinctivement son oeil vers le plafond décrépi.
- Je ne sais plus, répondit-il. Comment est-ce ?- Infini… C'est un voyage, qui n'as pas de limite, comme dans un rêve. C'est tellement beau...- Retourneras-tu dans les étoiles ?- Je m'y efforce oui, je ne veux surtout pas rester sur cette planète répugnante !- Alors Dalek sera seul ?
Rabaissant son oeil, le Dalek reprit son slalom de salles en salles. Ses pensées se bousculaient dans sa tête, un mélange de tristesse et de peur qui lui échappaient complètement. Dalek ne voulait pas être seul et déconnecté de nouveau. Il ne voulait pas avoir peur, encore.
- Mon petit pot de yaourt ? reprit la voix de l'humaine- Je suis Dalek ! répondit-il avec automatisme- Sais-tu ce que c'est, un ami ?- Négatif. A quoi ça sert ?
L'humaine ria sans que le Dalek ne comprenne pourquoi. Sa voix résonna de nouveau dans l'amure.
- Un ami c'est quelqu'un avec qui tu discutes, et sur qui tu peux compter quand tu as un problème ou que tu as peur.- Ce n'est qu'une mot, ça n'a de sens que pour les espèces inférieures et hypersensibles ! Un mot, une faiblesse !
Lassé de cette discussion trop humaine, le Dalek reprit ses occupations d'errance et d'exploration de l'asile, s'occupant l'air de rien. Pourtant, il reprit peu après :
- Est-ce que tu est … mon amie ? demanda-t-il avec hésitation.- On peut dire ça comme ça.- Irons-nous dans les étoiles, ensemble ?- Une humaine et un pot de yaourt ? Ça pourrait être amusant…
***
- Les réacteurs biométriques alphas D-3 sont connectés aux sorties des turboréacteurs à fusion biosonic, les turbines sont prêtes à démarrer.
Le sol sembla se dérober sous la violence du choc. Des étincelles volèrent dans la pièce tandis que le Dalek reculait des moteurs.
- Pourquoi les turbines ne se lancent pas ? enragea l'humaine dont la voix résonnait encore et toujours dans l'armure du Dalek. Vérifie si l'hydrocarbure pénètre bien dans la chambre de combustion et si le compresseur d'air est ouvert !- Je suis un Dalek ! Je sais parfaitement ce que je dois faire, répondit le Dalek aussi agacé qu'elle.
Il hésita pourtant, mémorisant les dernières instructions de la jeune femme. Jamais il ne le reconnaîtrait ouvertement, mais l'humaine était d'une intelligence redoutable. Un Dalek ne pouvait se considérer comme inférieur, il n'obéissait normalement qu'à ses pairs. Pourtant s'il s'opposait et se disputait avec elle en continu, il intégrait aussi discrètement les directions ordonnées par l'humaine. Approchant des turbines en question, le Dalek hésita avant de baisser à l'aide de son bras ventouse, un levier. Les turbines s'enclenchèrent alors, le vacarme des machines envahit la pièce.
- Ça fonctionne ! Parfait ! lança la jeune femme victorieuse.
Dalek s'éloigna des moteurs pour s'engouffrer dans de nouveaux couloirs. Tout autour de lui, ses compères s'étaient réveillés, hurlant à l'extermination. Dalek avait bien tenté de communiquer avec eux, mais ceux qu'il croisait avaient l'esprit bien trop embrouillé pour le comprendre.
- Évidemment que ça fonctionne, je suis un Dalek ! Nous sommes l'espèce la plus puissante de tous les univers, rétorqua-t-il fièrement.
Comme d'habitude, son interlocutrice ne releva pas son patriotisme génétique, ce qui l'énerva une fois de plus, le laissant bougonnant silencieusement au fond de son armure.
- Il faut faire vite , reprit l'humaine, l'éruption solaire ne pourra couper le champs de force de la planète qu'un court instant, c'est le moment où jamais de faire décoller ce tas de ferrailles !- Et partir dans les étoiles ! termina le Dalek. Mais tu avais dit pouvoir contrôler la barrière qui nous empêchait de partir d'ici…- Je sais que je peux le désactiver mais je n'ai pas eu assez de temps pour l'étudier et prendre son contrôle.- Technologie Dalek, tu n'y arriveras pas ! rétorqua-t-il sans être certain au fond de lui.- C'est pas le moment de débattre de ça, pot de yaourt ! Va à l'entrée du vaisseau si tu veux voir les étoiles !- Je suis un Dalek ! s'énerva-t-il de nouveau, pour la forme, avant de reprendre sa route vers la cabine du vaisseau qu'ils venaient de rallumer.
L'attente était interminable. Le Dalek tournait en rond à l'entrée. Le temps était contre eux, et toujours aucune trace de l'humaine.
- Qu'est-ce que tu fabriques ? s'énerva, comme pour changer, le Dalek. C'est pas le moment de faire … euh... du tourisme !
Il n'avait pas la moindre idée de ce que cela signifiait, mais c'est une expression dont elle l'avait habituée.
- C'est facile pour toi, tu es un pot de yaourt ! L'air ici est dangereux pour moi selon mon scanner, il est bourré de nano-robots et mes combinaisons sont défectueuses !- Je suis un Dalek ! Il reste peu de temps avant que le champs de force se réactive.- Je n'ai plus le temps, tu vas devoir y aller seul !
L'amertume perçait la voix de la jeune femme qui voyait sa chance de fuite disparaître. Le Dalek lui ne bougea pas, levant son oeil aux caméras du plafond.
- Négatif ! je ne pars pas sans toi.- Qu'est-ce que tu racontes, tu es stupide ou quoi ?- Négatif ! les Daleks ne sont pas stupides !- Bouge ton petit derrière de yaourt et va dans le vaisseau, c'est ta seule chance de partir d'ici.- Négatif ! On doit voir les étoiles ensemble.- Arrêtes, tu vas me faire pleurer, ironisa la jeune femme qui s'énervait de plus en plus. Dépêche-toi, c'est pas le moment de me faire une scène !
Elle s'énervait, le pressait. Le Dalek hésita mais reprit avec le même entêtement.
- Tu es mon amie, je ne pars pas sans toi !- Arrêtes, tu ne sais même pas ce que ça signifie, ça ne veux rien dire pour toi, tu ne peux pas comprendre ce que le mot ami implique !
L'humaine savait s'y prendre pour semer la confusion dans l'esprit du Dalek. Mais celui-ci le bougea pas d'un centimètre. Il attendait. Il entendit l'humaine soupirer.
Ses roues s'actionnèrent d'elles-même. Sans qu'il n'ordonne rien, le Dalek se mit à reculer en direction de l'entrée du vaisseau. Il eu beau agiter ses bras et tourner son oeil dans toutes les directions, ses roues ne lui répondaient plus.
- Ordre incorrect ! Que se passe-t-il ?- Je t'envoie dans les étoiles, répondit la jeune femme agacée.- Négatif ! Annuler l'ordre ! Annuler l'ordre !
Mais rien n'y faisait. L'armure butta durement contre le fond d'un placard qui se révéla être un ascenseur et l'éleva jusqu'à la cabine de contrôle. Et avant qu'il n'ai pu ordonner quoique ce soit, le vaisseaux décollait.
- Et t'as intérêt à revenir me raconter toutes les belles étoiles que tu auras vu !- Non, non ! paniqua le Dalek à présent impuissant- Adieu mon petit pot de yaourt…
Le vaisseau décolla, enfonçant le Dalek au fond de son armure.
- Non Non Non ! … Oswin ! Oswin !
Le vaisseau traversa l'atmosphère avec violence, faisant trembler toute l'armature de métal qui encerclait le Dalek. La voix d'Oswin avait disparu, il était maintenant seul pilote.
***
Une épaisse fumée blanche envahissait les dunes. Les deux soleils brulaient le désert depuis plusieurs heures, une chaleur suffocante s'élevait du sable brulant.
- Qu'est-ce que c'est que ce truc, demanda un jeune homme d'apparence humaine.- Ça, c'est un vaisseau qui a raté son atterrissage, répondit l'autre, beaucoup plus âgé.
Les deux avaient la peau brune, très foncée, scarifiées de marques pâles qui leurs griffaient le visage. Ils portaient de longs vêtements amples et colorés, surmontés d'un turban pour couvrir leurs têtes et des masques à gaz bruns, utiles lors de violentes tempêtes.
- Je sais que c'est un vaisseau, je te parle de ce truc.
Le jeune homme du désert désigna le robot au sol qui s'agitait pour se relever, mais en vain. Le plus vieux attrapa son bâton de marche et tapa le robot à la tête.
- Hey ! Rugit le Dalek. Misérable créature primitive, ne me touche pas ! Agression, agression, les Daleks ne tolèrent pas les agressions !
Il tenta bien de diriger son arme vers les deux hommes mais cela faisait bien longtemps qu'elle n'était plus fonctionnelle. Couché sur le côté, le Dalek était à la merci de n'importe quoi.
- Je n'aime pas du tout ça, rétorqua l'ancien qui commençait à s'éloigner.
Mais l'autre ne suivit pas, il s'approcha du robot et s'assit à côté.
- Alors, tu es un Dalek ? Comment tu t'appelles ?- Les noms sont inutiles !- Moi c'est Da'haam Nic. Tu as besoin d'aide ?- Négatif ! Les Daleks n'ont pas besoin d'aide !
L'homme se retira donc. Il le laissa là et repartit. Il revint le jour suivant, recevant le même accueil. Il le laissa donc une journée de plus et revint le troisième jour. Cette fois-ci, le Dalek eut un discours bien différent, assommé par le soleil et son immobilité. Il appelait simplement d'une voix faible de l'aide, réclamant la pitié, semi-conscient.
Quand il se réveilla finalement, il ne faisait plus aussi chaud et son armure était enfin à la verticale. Les systèmes de cette dernières purent refonctionner correctement, et le Dalek retrouva peu à peu sa forme et sa santé. Il demeura inactif de plus d'une journée avant de se remettre totalement en fonction. Dès lors, il put découvrir l'intérieur d'un atelier où s'entassait différents outils, matériaux et robots en chantier. Sur une des tables, un homme était assis, l'observant, et Dalek reconnu De'haam Nic.
- Où suis-je ? demanda le Dalek.- Dans mon atelier ! Je travaille ici, je répare tout ce qui ne fonctionne pas, les robots, les vaisseaux, les machines. Tout quoi ! Il y a beaucoup de visiteurs de l'espace qui viennent commercer dans notre village, j'ai appris beaucoup des technologies des autres mais j'avais encore jamais rencontré de Dalek. On raconte beaucoup de choses sur vous !- Tu parles trop ! reprocha de Dalek de sa voix autoritaire.
L'homme ria, sans que le Dalek ne comprenne pourquoi.
- Ton armure est salement amochée, reprit l'homme en tunique. Je pourrais la réparer, tu sais ?
Il se pencha vers l'armure pour l'examiner du bout des doigts. Le Dalek recula vivement, buttant contre le mur derrière lui.
- Éloignez-vous ! Je ne soulève pas votre robe alors ne toucher pas mon armure ! On ne touche pas l'armure d'un Dalek !
Après de longs jours de négociation et des accidents de parcours du Dalek, celui-ci accepta finalement de faire réparer son armure. Les freins tout d'abord, car les pentes ne lui furent pas une réussite. Puis tout son système de lévitations, son bouclier et divers programmes mais l'homme du désert refusa de remettre en marche l'arme de l'alien. Et il eu raison car rapidement le Dalek commença à souffrir d'absences, retrouvant ses réactions primaires de Dalek. Evidemment, il ne les croyait quand ils lui racontèrent ce qui était arrivée. Il était toujours plus confortable d'ignorer la vérité…
- Il faut te trouver un nom, Dalek.
Da'haam Nic venait de rejoindre le Dalek installé sous la voute céleste et étoilée de la nuit. La fraîcheur nocturne lui semblait plus agréable que la torpeur des journées, mais surtout, le Dalek s'était habitué à venir observer les étoiles.
- Je n'ai pas besoin d'un nom…
L'homme du désert s'assit en riant. Il semblait au Dalek qu'il passait son temps à rire et avait conclu qu'il était le fou du village. Da'haam était devenu son nouveau "compagnon de papotage". Il était loin d'avoir le répondant d'Oswin, mais au moins, il le distrayait.
- Comment te reconnaîtront tes amis si tu n'as pas de nom ?- Pas besoin de nom, s'entêta le Dalek.- Tu sais ce que ça veut dire Da'haam ?
Le Dalek quitta les étoiles des yeux et se tourna vers l'homme du désert. Après un instant silencieux, il reprit :
- Da'haam, ça veut dire le "pèlerin guide". Les noms ont des sens, tu sais. Au départ, on ne comprend pas ce qu'ils veulent dire, et puis nos actions, nos choix nous font comprendre le sens de notre prénom.
Dalek n'était pas certain de comprendre l'aspect philosophique et ennuyeux pour lui, qui se cachait derrière tout ça et se retourna de nouveau vers les étoiles.
- Quel nom m'irait alors ? l'interrogea le Dalek.- Choisis-en un !
Le Dalek observa les dunes sous la nuit, réfléchissant à un nom. Le mot "exterminer" traversa sa pensée mais il était convaincu que tous les Daleks voudrait s'appeler comme lui après. Un autre lui revint en mémoire.
Da'haam éclata de rire, faisant apparaître ses grandes dents blanches.
- Mais c'est un nom de fille Dalek ! Il te faut un nom d'homme !
Le Dalek se rembrunit, agacé. Un nom d'homme, un nom de guerrier plutôt, songea-t-il. Exaspéré à l'idée de ne pas trouver de nom qui lui convienne, il leva de nouveau son oeil au ciel.
- Comme s'appelle cette étoile toute bleu ?- Khadar, le père des guerriers, il brille dans les plus violentes tempêtes et brule plus fort que toutes les autres étoiles.- Khadar me plaît bien, conclu le Dalek.
***
- Vas-tu partir loin, Khadar ?
Le Dalek allait monté dans son vaisseau lorsque Da'haam lui avait posé la question. Cela faisait de longs jours, de longues semaines, de longs mois que le Dalek travaillait sur la rénovation d'un vieux vaisseau afin de reprendre sa route dans le ciel. Aidé par Da'haam, il y était finalement parvenu. Et avant de repartir, Kadhar l'avait même convaincu de réparer son arme. Il ne s'était jamais sentit aussi efficace.
- J'ai beaucoup d'étoiles à voir, répondit le Dalek.
Puis Khadar disparut dans son vaisseau et en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, les réacteurs grondèrent et le Dalek décolla. Khadar voulait retrouver ses frères, les Daleks, mais Oswin ne quittait pas non plus ses pensées. Il ne retrouva jamais l'asile mais comme promis, le Dalek traversa les galaxies, toujours plus loin, vers toujours plus d'étoiles…